Notre Dame du Rocher

Lettre de Monseigneur Marc Aillet

Lettre de Monseigneur Marc Aillet
Chers frères prêtres et diacres Chers frères et soeurs consacrés et fidèles laïcs,
    C'est avec beaucoup de tristesse que je m'adresse à vous aujourd'hui, de retour de l'assemblée plénière des évêques de France à Lourdes, où nous avons été informés de plusieurs affaires d'abus sexuels concernant des évêques. Comme vous, nous avons été particulièrement bouleversés par les révélations que le Cardinal Jean-Pierre Ricard a portées à notre connaissance et à celle du grand public. Je suis moi-même d'autant plus troublé qu'il m'a ordonné évêque et qu'il a été notre archevêque métropolitain pendant des années.
Tristes et résolus
    Ma pensée se tourne d'abord vers les victimes de ces faits gravement répréhensibles attribués à des évêques, alors qu'ils étaient prêtres. Qu'elles soient assurées de notre compassion, de notre prière et de notre engagement à reconnaître leur souffrance et à les accompagner dans leur reconstruction.
    Je mesure aussi la déception, la tristesse et la colère qui s'emparent légitimement de beaucoup, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Eglise, avec le sentiment d'avoir été trahis dans leur confiance en l'Eglise et en sa hiérarchie. Dans ce climat douloureux, nous, les évêques, avons travaillé avec détermination et dans un esprit malgré tout serein et fraternel. Nous avons relu sans concession ces événements et poursuivi résolument ce travail que nous avions initié il y a un an, suite à la réception du Rapport de la CIASE. Ce travail, nous le menons avec l'aide compétente et mature de fidèles laïcs, y compris de victimes, engagés dans les neuf groupes de travail que nous avons constitués. La dimension synodale de cette démarche nous permet de sortir de l'entre soi.
Un regard de foi
    Comme vous, nous nous sentons honteux et humiliés par ces révélations, mais nous savons tous que c'est la vérité qui nous rendra libres (cf. in 8, 32). Jésus nous avait prévenus : « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive » (Lc 17, 1). Il n'est toutefois pas indifférent que Jésus associe à ces propos si sévères une leçon sur le pardon des péchés : « Si un frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et s'il se repent, pardonne-lui » (cf. Lc 17, 3). J'ai bien conscience que nous ne pouvons accueillir ces paroles que dans la foi ; et c'est pourquoi cette péricope évangélique se conclut avec cette prière adressée par les apôtres à Jésus et que nous pouvons faire nôtre : « Seigneur, augmente en nous la foi » (Lc 17, 5).
    Si la Miséricorde veut croire à l'amendement du coupable, elle ne peut jamais pour autant faire fi de la justice, appelée à réparer le préjudice subi par la victime par une peine juste et proportionnée. Mais la foi seule pourra nous aider, après le temps légitime de la colère et de la déception, à surmonter cette épreuve. Comme nous y exhorte l'auteur de l'épitre aux Hébreux : « Courons avec endurance l'épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l'origine et au terme de la foi [...1 et vous ne serez pas accablés par le découragement » (He 12, 1-3).
Tous ces événements douloureux, qui blessent le corps ecclésial en son entier, nous obligent, nous, évêques, prêtres et diacres, à nous rappeler humblement que, si nous sommes configurés au Christ tête, pasteur, serviteur et époux de l'Eglise, appelés à le rendre présent au sein du peuple de Dieu, comme de « simples serviteurs » (Lc 17, 10), nous ne sommes pas pour autant le Christ lui-même (cf. Jn 1, 20). Nous ne sommes que ses instruments, conscients de leurs faiblesses et appelés avec tous les baptisés à la conversion et à la sainteté !
Le Mystère de l'Église
    Comme l'a déclaré Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, dans son discours de clôture de notre assemblée plénière : « L'Église n'est pas sainte parce qu'elle serait faite de saints uniquement ; en tout cas pas parce qu'elle le serait en sa hiérarchie. Elle est sainte parce que, par elle, le Seigneur Jésus enfante à la sainteté les pécheurs que nous sommes ».
    Le grand théologien allemand, Dietrich Bonhoeffer, pasteur luthérien, résistant et martyr du nazisme, exécuté en 1945, écrit des pages lumineuses sur le Mystère de l'Eglise qu'il me paraît bon de relire dans les circonstances actuelles : « Dans sa grâce, Dieu ne nous permet pas de vivre, ne serait-ce que quelques semaines, dans l'Eglise de nos rêves, dans cette atmosphère d'expériences bienfaisantes et d'exaltation pieuse qui nous enivre. Car Dieu n'est pas un Dieu d'émotions sentimentales, mais un Dieu de vérité. C'est pourquoi seule la communauté qui ne craint pas la déception qu'inévitablement elle éprouvera en prenant conscience de toutes ses tares, pourra commencer d'être telle que Dieu la veut et saisir par la foi la promesse qui lui est faite [...] Dieu hait la rêverie pieuse, car elle fait de nous des êtres durs et prétentieux. Elle nous fait exiger l'impossible de Dieu, des autres et de nous-mêmes. Au nom de notre rêve, nous posons à l'Eglise des conditions et nous nous érigeons en juges sur nos frères et sur Dieu lui-même ».
    Nous devons poursuivre les efforts engagés pour faire de notre Eglise une Maison toujours plus sûre, comme l'attestent les mesures et les résolutions que nous avons prises au terme de cette assemblée plénière. Nous ne pouvons pas pour autant idéaliser l'Eglise : fondée par le Christ comme sacrement du Salut, elle est composée de pécheurs qui déçoivent souvent le dessein d'amour de Dieu, mais reçoivent sans cesse, s'ils le veulent bien, la promesse de sa miséricorde I Comme l'écrit l'apôtre Paul : « Le Christ a aimé l'Eglise, il s'est livré pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l'eau baptismale, accompagné d'une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Eglise, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée » (Ep 5, 25-27). Invitation à aimer l'Eglise et à nous livrer pour elle, « par le Christ, avec lui et en lui ».
    Que ces quelques paroles, qui n'ont pas pour but de justifier les coupables, ni de taire les dysfonctionnements pointés dans la gestion de ces scandales, mais « d'avancer au large » (Lc 5, 4), vous rejoignent en profondeur et vous aident, malgré le poids de la colère et de l'incompréhension, à croire toujours plus intensément en Jésus-Christ sauveur et à la sainte Eglise catholique.
    L'heure est pour nous à la prière : supplions le Seigneur de guérir les blessures, d'amender les coupables, de réparer le scandale.
    Je vous invite enfin à lire le message, « Bouleversés et résolus », que les évêques de France ont voulu adresser à tous, au terme de leur Assemblée plénière.
Avec mes sentiments dévoués dans le Christ et son Eglise, et ma prière pour vous tous.

+ Marc Aillet,
Bayonne, le 9 novembre 2022
Publié le 10/11/2022